29 juny, 2016

“De la decepción a la refundación” (Bernard Snoy, Presidente de la LECE Internacional)

Bernard Snoy, después del Brexit, aboga por reafirmar firmemente los fundamentos del proyecto europeo, e implementarlos en beneficio de los ciudadanos.

Reproducimos aquí la reflexión en su versión original del Presidente de la LECE después del referéndum en el Reino Unido sobre la salida de este estado miembro de la Unión Europea

De la déception  à la refondation

Réaffirmons fermement les fondamentaux du projet européen et mettons les en œuvre au bénéfice des citoyens

Bernard Snoy – Président International de la Ligue Européenne de Coopération Éonomique (LECE)

Mon père Jean-Charles Snoy (1907-1991), négociateur et signataire des Traités de Rome aux côtés de Paul-Henri Spaak,  a été dans les années 1960-70 un partisan de l’adhésion du Royaume Uni à ce qui était alors la Communauté Economique Européenne. Ami d’Edward Heath, qui préfaça ses mémoires (1989),  il pensait que le projet européen pourrait bénéficier  du pragmatisme, de la tradition d’ouverture et du poids géo-politique du Royaume Uni. Combien il aurait été déçu de voir aujourd’hui le coup très grave donné par le Brexit au projet d’intégration économique et politique de l’Europe qui lui tenait tant à cœur.

Certes dans les années 1980, Madame Thatcher, avec Jacques Delors, a donné une impulsion très positive en soutenant l’Acte Unique de 1986 qui introduisit la décision à la majorité qualifiée pour toutes les directives  nécessaires à la réalisation du Marché Intérieur, un marché intérieur qui prévoyait explicitement la libre circulation des marchandises, des services des personnes et des capitaux. Du Royaume Uni sont venus des Commissaires européens très appréciés tels que Roy Jenkins, Arthur Cockfield, Leon Brittan, Chris Patten et Peter Mandelson. Mais très vite le désamour s’est installé en raison d’une divergence fondamentale sur les finalités du projet européen : uniquement un grand marché ou « une union toujours plus étroite entre les peuples de l’Europe » menant à une véritable union politique.  Divergence également sur la méthode, les Britanniques ne manquant aucune occasion de pousser la méthode intergouvernementale au détriment de la méthode communautaire, fondée sur le pouvoir d’initiative de la Commission et la prise de décision à la majorité qualifiée au Conseil ; d’exemption en exemption, le Royaume Uni n’a pas voulu se joindre aux deux initiatives phares qu’ont constituées l’espace Schengen et l’euro. En s’opposant systématiquement à toute expansion du budget européen et en plaidant pour une politique à court terme de « juste retour », il a rendu impossible la politique fiscale stabilisatrice nécessaire à la survie à long terme de la zone euro. Après s’être fait le champion de l’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale, politique qui, dans l’ensemble, a constitué un très grand succès, et après avoir renoncé aux périodes de transition autorisées pour accueillir les travailleurs des nouveaux pays membres, il a complètement viré de bord et transformé cette question de la libre circulation des travailleurs venant de ces pays en une pomme de discorde majeure avec l’Union européenne. Le Royaume Uni a aussi contribué, en s’associant à la guerre hasardeuse menée par l’Administration Bush en Irak, à la déstabilisation complète du Moyen-Orient et à l’avènement de DAECH, source d’une nouvelle vague migratoire extrêmement difficile à gérer  pour l’Union. Enfin, la presse britannique, largement dans des mains étrangères, n’a jamais fait l’effort d’expliquer aux Britanniques le projet européen et n’a jamais cessé de railler ou de dénigrer les institutions européennes. Comment s’étonner dès lors du climat délétère qui s’est installé au fil des décennies entre Royaume Uni et l’Union européenne ?

Comment ne pas être déçus aussi de l’irresponsabilité  d’un David Cameron, prenant le risque d’un referendum essentiellement  pour se maintenir à la tête de son parti, et l’opportunisme d’un Boris Johnson, décidant de prendre la tête du Brexit dans l’espoir de  remplacer son rival au 10 Downing  street. Quelle tristesse que cette campagne où les tenants du Brexit n’ont pas hésité à mettre au premier plan la peur des migrants, ignorant leur contribution positive à l’économie, et à mentir de manière éhontée sur le risque d’une vague migratoire turque ou sur le montant des transferts budgétaires nets du Royaume Uni à l’Union qui en cas de Brexit viendraient renflouer la sécurité sociale. Quelle tristesse de voir le camp du maintien dans l’Union mené par ne Premier Ministre euro-sceptique, affirmant ne pas aimer Bruxelles mais avoir obtenu pour son pays des concessions significatives ; une campagne essentiellement négative, bien qu’économiquement exacte, mettant en exergue le coût du Brexit   mais n’osant aborder clairement toutes les raisons positives de rester engagés dans le projet européen. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la psychologie identitaire anglaise l’ait emporté sur un calcul rationnel. La campagne a montré l’absence d’empathie d’une grande partie de la population à l’égard de ce que pourraient ressentir les autres nations européennes, sa profonde ignorance de notre interdépendance et sa défiance à l’égard  de tout mécanisme de prise de décision à caractère supranational.

Mais à quoi bon l’amertume, la recherche des coupables ou le désir vain de punir le Royaume Uni ou de brusquer l’agenda des négociations.  Gardons notre sang froid et voyons comment le Brexit peut se transformer en opportunité. Nous n’avons d’autre choix que de rebondir et de rebondir rapidement  si nous voulons éviter les dangers de contagion et limiter le dommage que le Brexit fait à la réputation de l’Union européenne dans un monde dominé par les media anglo-saxons.  Le Brexit est aussi un échec pour les institutions européennes et pour tous ceux qui ont soutenu le projet européen jusqu’ici. Il montre que nous n’avons pas su expliquer correctement ce projet et que ce projet, dépourvu d’une dimension sociale suffisamment affirmée,  n’a atteint qu’imparfaitement son objectif central d’améliorer la situation des gens ordinaires. Pour ma part, je proposerais une refondation du projet européen, basée sur la réaffirmation calme mais ferme de ses fondamentaux, accompagnée d’une mise en œuvre de la méthode de Jean Monnet consistant  à progresser  par des pas concrets chaque fois que c’est possible:

  • Réaffirmation d’abord de l’Union européenne comme « projet de civilisation », un projet mobilisateur né au confluent des héritages gréco-romain et judéo-chrétien, reformulés dans le contexte des Lumières ; pour que les Européens aiment l’Europe, il faut renouer avec nos racines culturelles  et faire aimer ces génies qui, de Michel-Ange à Shakespeare et Mozart, nous ont laissé des œuvres impérissables. Ce projet de civilisation ne doit pas être seulement passéiste mais orienté vers l’avenir. Seule une Europe unie, bâtissant sur ses valeurs humanistes, associée autant que possible aux Etats-Unis,  peut être en mesure de « civiliser » la mondialisation en introduisant dans le commerce et les investissements internationaux des normes sociales et environnementales conforme à ses valeurs. Nous ne pouvons certainement pas compter sur les pays émergents pour le faire. Face au cynisme ambiant, il faut oser rappeler que l’Union européenne  a pour but non seulement de défendre nos intérêts communs mais de promouvoir nos valeurs communes, telles que le respect de la dignité humaine, la liberté, l’égalité, l’Etat de droit,  la démocratie, le respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités (Article 2 du Traité de Lisbonne) . Il importe de montrer comment l’Union européenne a défendu ces valeurs, notamment dans le contexte de l’élargissement, et donner  une plus grande priorité à l’avenir à la lutte contre la pauvreté et à des programmes proactifs remettant en scelle ces « perdants de la globalisation », qui en Grande Bretagne ont voté pour le Brexit et dans d’autres pays sont tentés de voter pour les partis populistes de tout genre.
  • Face à l’obsession de « reprendre le contrôle » , il faut réaffirmer ensuite le projet européen non comme un renoncement aux souverainetés nationales mais comme une mise en commun de ces souverainetés là où cette mise en commun permet de  mieux faire face aux grands défis de notre temps  et cela dans le cadre  d’ institutions soumises à un contrôle démocratique,  auxquelles chaque Etat membre participe,  selon la règle de droit et sans hégémonie d’aucun État.  Il faut mieux expliquer combien notre interdépendance rendrait illusoire  le retour à 28 souverainetés nationales juxtaposées incapables de résoudre les problèmes et de maintenir le bien-être des citoyens. Il faut simultanément mieux faire respecter le principe de subsidiarité et rendre les compétences aux Etats membres là où la diversité des situations ne permet pas une solution plus efficace au niveau de l’Union.
  • Il faut aussi faire mieux comprendre aux populations la logique qui nous a menés d’une union douanière au grand marché intérieur et de celui-ci à l’Union Economique et Monétaire (UEM), logique de compétitivité pour permettre à nos entreprises, s’appuyant sur un vaste marché intérieur où les règles sont identiques et où les facteurs de production circulent librement,  de réussir dans la mondialisation ; il faut expliquer la raison d’être des régulations communes qui paraissent souvent intrusives et ne pas hésiter à les simplifier ou à les éliminer partout où elles sont devenues superfétatoires ; il faudra vis-à-vis des Britanniques tenir bon sur le lien qui doit persister entre l’accès au marché intérieur, des régulations communes, la libre circulation des personnes et les contributions au budget européen ; face aux critiques de l’euro, il faut rappeler le danger que l’instabilité des taux de change a fait courir dans le passé au marché intérieur et pour assurer la survie de l’euro , il faut achever l’union bancaire, doter la zone euro d’un budget digne de ce nom et compléter l’UEM par une union fiscale et une union politique plus poussées, mariant de manière équilibrée les principes de solidarité et de responsabilité.
  • Il faut relever le défi des critiques adressées au déficit démocratique des institutions européennes et voir comment  la méthode communautaire, valorisant l’équilibre institutionnel de la Commission, du Conseil et du Parlement européen, pourrait être rendue plus transparente ; malgré ses défauts, elle reste infiniment plus démocratique qu’un système intergouvernemental où règnent ou bien l’impuissance ou la domination de facto d’un directoire de grandes puissances.

C’est par rapport à la réaffirmation de ces fondamentaux, que les Britanniques n’ont jamais réellement acceptés, que les 27 autres Etats membres pourraient définir un agenda de réformes prioritaires et préparer leur position de négociation du divorce avec les Britanniques. Nous pourrions alors nous  rassembler autour d’une sorte de  refondation  du projet européen  initial,  reformulé d’une manière plus cohérente, plus lisible et transparente et dès lors susceptible d’un meilleur contrôle démocratique.  S’il faut avoir un projet clair, il faut aussi, comme Jean Monnet, s’inspirer de manière pragmatique des circonstances pour voir quels sont les domaines concrets où une percée est possible avec les hommes d’Etat au pouvoir et tenant compte des opinions publiques.

L’Europe a connu un grave revers avec le referendum sur le Brexit mais ce n’est pas la première fois qu’elle est stoppée dans son élan par un vote négatif dans un État membre. En août 1954, l’Assemblée nationale française refusait de ratifier le traité de la Communauté Européenne de Défense. Pourtant, comme mon père me l’a si souvent raconté,  à peine neuf mois plus tard, les Ministres des Affaires étrangères de France, d’Allemagne, d’Italie et des pays du Benelux se retrouvaient à Messine et jetaient les bases d’une négociation qui devait conduire aux Traités de Rome. Pourquoi ne pas relever le défi et cette fois encore chercher à s’entendre de manière créative sur un sujet alternatif qui ne cessera de nous préoccuper à l’avenir : notre gestion commune de nos frontières en Méditerranée face aux menaces d’effondrement de l’espace de Schengen, notre sécurité et notre défense communes face aux dangers du terrorisme et de DAECH ?

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